FERMETURE DU MARCHÉ
«Un peu de couleur et d’élan
de beauté et de mystére
vos airs battus, vos dos ronds
et vos histoires à la con
j’ en ai plus rien à faire. . .»
dit la femme en brisant son verre
puis elle sorti son mouchoir et pleura
D’ordinaire, elle ne parle pas
mais c’est l’ idée qui l’a frappeé comme
ça
devant son quart de biére
que la même vie avec les mêmes
pourrait être
comme de la soie
comme une musique continuelle
comme si la vie. . . mon Dieu!
Déjà tous les yeux du café la regardent
les cartes levées des joueurs
retournent vers la table
et chacun à sa propre mort
déjà elle n’est plus bien certaine
Sur nos écuelles sales, sur nos tétes
rasées
et sur nos droguets d’assassins
s’étend le ciel immuablement bleu
parfois du coin de l’oeil on l’aperçoit
puis on l’oublie
Bosnie,1974
TROIS NOTES DE CLARINETTE
Le menuisier arménien
transporte son instrument
dans une jolie boîte en poirier
Navets bouillis dans leur sang
et gâteaux parfumés au citron
casquettes et gourdins
cheval de fiacre un oeillet de papier
sur l’oreille
fenêtre noire
carreaux gelés où s’inscrivaient les
astres
chemin boueux qui menait vers le ciel
Tabriz
Azerbaïdjan,1953
HÔTEL
De petits bouts de savon sale
semés un peu partout
et la moitié d’un étron sec
sur la lunette des cabinets
et ce matin sur les draps propres
la petite tache de sang des
punaises
mais le lit était bon
J’ai dormi comme un roi quand même
six heures et quart
écartant les tentures du sommeil
fusées, rires enfantins
cascades de voix intenses, hurlements
C’est le début de l’ école
juste sous ma fenêtre
la cour est pleine de gamines à tresses
qui mangent leur riz
sur de grandes feuilles de bananier
qui me montrent du doigt
font des grimaces, m’appellent, pouffent
Les petits garçons se roulent ces
cigarettes au girofle
qui sont les plus fortes du monde
Puis tout est suspendu, tous se
rassemblent
se mettent en rang
une immense clameur excitée: salut au
drapeau
Mégot collé à la levre on s’en fout
Solo,juillet 1970
EMPLOI DU TEMPS
C’est l’été le plus chaud du siècle
le jour le plus chaud de l’été
les ouvrières ont la nuque rasée
et des éventails en papier
Au terminus de la ligne 23
ce matin j’ai appris dix caractères
chinois
je suis monté dans set autobus rose
qui passe un col à l’ombre des
bambous
marché le long de la rivière
marché, nagé et maintenant:
le soleil est un fil à plomb
au fil de l’eau passent une figue mordue
les plumes d’un poulet tué par le
faucon
rainettes, salamandres, libellules
le ciel est une éponge grise
trois montagnes font le dos rond
Sur les bornes de la riziere
il est écrit que la vie est fumée
j’en ferai ma fumée à moi
allongé au frais dans ce cimetiere
entre Ayabé et Miyama
j’ai oublié dix caractéres chinois
Kyoto-ken,juin
1970
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