Génie Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été—lui qui a purifié les boissons et les aliments—lui qu’est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations.—Il est l’affection et l’avenir, la force et l’amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d’extase. Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l’éternité: machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l’épouvante de sa concession et de la nétre: o jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui,—lui qui nous aime pour sa vie infinie… Et nous nous le rappelons et il voyage…Et si l’Adoration s’en va, sonne, sa Promesse, sonne: "Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces ages. C’est cette époque-ci qui a sombré!" Il ne s’en ira pas, il ne redescendra pas d’un ciel, il n’accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché: car c’est fait, lui étant, et étant aimé. O ses souffles, ses têtes, ses courses; la terrible célérité de la perfection des formes et de l’action. O fécondité de l’esprit et immensité de l’univers! Son corps! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle! Sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les peinesrelevés à sa suite. Son jour! l’abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense. Son pas! les migrations plus énormes que les anciennes invasions. O Lui et nous! l’orgueil plus bienveillant que les charités perdues. O monde!—et le chant clair des malheurs nouveaux! Il nous a connu tous et nous a tous aimé, sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues,—ses souffles—son corps,—son jour.
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[from Illuminations (1872-1874?)]
Mémoire I L’eau claire; comme le sel des larmes d’enfance, l’assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes; la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes sous les murs dont quelque pucelle eut la défense; l’ébat des anges;—non…le courant d’or en marche, meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d’herbe. Elle sombre, avant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle pour rideaux l’ombre de la colline et de l’arche. II Eh! l’humide carreau tend ses bouillons limpides! L’eau meuble d’or pâle et sans fond les couches prêtes. Les robes vertes et déteintes des fillettes font les saules, d’où sautent les oiseaux sans brides. Plus pure qu’un louis, jaune et chaude paupière le souci d’eau—ta foi conjugale, o l’Epouse!— au midi prompt, de son terne miroir, jalouse au ciel gris de chaleur la Sphère rose et chère. III Madame se tient trop debout dans la prairie prochaine où neigent les fils du travail; l’ombrelle aux doigts; foulant l’ombelle; trop fière pour elle des enfants lisant dans la verdure fleurie leur livre de maroquin rouge! Hélas, Lui, comme mille anges blancs qui se séparent sur la route, s’éloigne par delà la montagne! Elle, toute froide, et noire, court! après le départ de l’homme! IV Regret des bras épais et jeunes d’herbe pure! Or des lunes d’avril au cœur du saint lit! Joie des chantiers riverains à l’abandon, en proie aux soirs d’août qui faisaient germer ces pourritures. Qu’elle pleure à présent sous les remparts! l’haleine des peupliers d’en haut est pour la seule brise. Puis, c’est la nappe, sans reflets, sans source, grise: un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine. V Jouet de cet œil d’eau morne, Je n’y puis prendre, oh! canot immobile! oh! bras trop courts! ni l’une ni l’autre fleur: ni la jaune qui m’importune, là; ni la bleue, amie à l’eau couleur de cendre. Ah! la poudre des saules qu’une aile secoue! Les roses des roseaux dès longtemps dévorées! Mon canot, toujours fixe; et sa chaîne tirée au fond de cet œil d’eau sans bords,—à quelle boue? | Memory I Clear water; like the salt of childhood tears, the assault on the sun by the whiteness of women’s bodies; the silk of banners, in masses and of pure lilies, under the walls a maid once defended; the play of angels;—no…the golden current on its way, moves its arms, black, and heavy, and above all cool, with grass. She dark, before the blue Sky as a canopy, calls up for curtains the shadow of the hill and the arch. II Ah! the wet surface extends its clear broth! The water fills the prepared beds with pale bottomless gold. The green faded dresses of girls make willows, out of which hop unbridled birds. Purer than a louis, a yellow and warm eyelid the marsh marigold—your conjugal faith, o Spouse!— at prompt noon, from its dim mirror, vies with the dear rose Sphere in the sky grey with heat. III Madame stands too straight in the field nearby where the filaments from the work snow down; the parasol in her fingers; stepping on the white flower; too proud for her children reading in the flowering grass their book of red morocco! Alas, He, like a thousand white angels separating on the road, goes off beyond the mountain! She, all cold and dark, runs! after the departing man! IV Longings for the thick young arms of pure grass! Gold of April moons in the heart of the holy bed! Joy of abandoned boatyards, a prey to August nights which made rotting things germinate. Let her weep now under the ramparts! the breath of the poplars above is the only breeze. After, there is the surface, without reflection, without springs, gray: an old man, dredger, in his motionless boat, labors. V Toy of this sad eye of water, I cannot pluck, o! motionless boat! o! arms too short! neither this nor the other flower: neither the yellow one which bothers me, there; nor the friendly blue one in the ash-colored water. Ah! dust of the willows shaken by a wing! The roses of the reeds devoured long ago! My boat still stationary; and its chain caught in the bottom of this rimless eye of water,—in what mud? |
[1872-1873?]
Jean Nicholas Arthur Rimbaud
Rimbaud: Complete Works, Selected Letters, a Bilingual Edition
Translated and with an Introduction and Notes by Wallace Fowlie. Revised and with a Foreword by Seth Whidden.
Copyright: Excerpted from Rimbaud: Complete Works, Selected Letters, a Bilingual Edition, published by the University of Chicago Press. ©1967, 2005 by the University of Chicago. All rights reserved
image : Adam Fuss